Exposition Jef Rabillon / 2007
JEF RABILLON
Dans un monde où l’image devient de plus en plus « facile », tant par l’évolution de la technique que dans l’amélioration des transmissions de fichiers, il est utile de rappeler que la photographie reste un art. Certes, il suffit d’appuyer sur un bouton pour faire une photo mais cela ne signifie pas qu’il suffit d’appuyer sur un bouton pour être un artiste photographe. Jef Rabillon est l’un de ceux-là.
Depuis l’âge de douze ans, il a vécu la photographie comme un formidable moteur d’autonomie. La technique, tout d’abord, avec la magie de la chambre noire et des tirages qui se révèlent sous les yeux comme autant de messages secrets écrits à l’encre sympathique, cette magie, donc, lui a permis de se former, de se chercher et de se trouver. Ses voyages ensuite, comme son périple en vélo jusqu’au Cap Nord soit 10 000 km, sont devenus autant de périples initiatiques où les éléments naturels ont fondé sa personnalité d’artiste. Au cœur de cette nature, tous ses sens se sont éveillés. « Pour réussir une photographie, nous dit-il, j’ai besoin d’être touché, voire ému. Lorsque je photographie, je ne réfléchis pas, je me laisse guider par mes sentiments pour capter une attitude ou une lumière ».
Oui, il convient de méditer sur l’acte photographique. À l’heure où l’appareil est inclus dans le portable, où la photo est prise en rafale, mise en ligne, stockée sur disque dur, fractionnée, zoomée, gommée, colorisée, incrustée, truquée ; à l’heure où les images de publicité deviennent de plus en plus grandes et envahissent notre quotidien, l’art photographique reste une démarche personnelle. Le matériel ne fait pas tout. L’acte n’est pas l’art. Tout photographier équivaut à ne rien photographier. Le touriste qui mitraille tue son œil et ses souvenirs. Il ne voit plus, il stocke.
Jef Rabillon nous dit : « J’ai besoin de passer du fin fond de la Norvège aux bords de la Loire, de la danse contemporaine au théâtre, de concerts rock à des portraits d’Emmaüs par exemple. Chaque rencontre aussi différente soit elle, enrichit mon regard, l’influence comme celui d’un gamin qui découvre quelque chose pour la première fois. » La photographie est ici synonyme de construction et de compréhension du monde. On est loin du syndrome du touriste japonais.
Dans le couloir d’entrée, vous découvrirez quelques paysages de la Loire et de la Norvège mis en parallèle. Eléments froids et chauds mais éléments 100% naturels. La petite salle d’en bas présente des moments de danses du collectif Zur, un groupe de danseurs, musiciens et graphistes qui travaille sur l’image sur tout supports.
Outre ce travail sur le corps en mouvement, Jef Rabillon est aussi intéressé par l’irruption de la pub dans le décor moderne. Friches industrielles, épaves, tags, gens traversant des parkings, il nous rappelle combien l’envahissement est destructeur. Mais il ouvre une porte d’espoir. La rouille, les herbes et les mousses ne tardent pas à réapparaître et à dévorer les matériaux intrus, les teintant de verts, de roux et de brun. Par la friche, la Nature se réapproprie le béton et le métal.
En droite ligne de ce regard, celui sur la lumière et les ombres, sur les traces dans la terre. Il est à noter que, pendant longtemps, Jef Rabillon a hésité à photographier des gens, à inclure l’humain dans ses photographies. Mais il a grandi, il est devenu moins timide, il a su aller à la rencontre de ses modèles.
Vous le verrez avec tout le premier étage qui est consacré à des portraits en noir et blanc. De France à la Slovaquie, le photographe a su saisir des instants de confiance pour porter son regard sur notre société. Vous y verrez des gens de toutes couleurs et de tous les niveaux sociaux, en particulier certains issus de son travail avec Emmaüs dont le portrait de l’Abbé Pierre s’impose comme la véritable icône.
La pellicule photo est (presque) morte et, avec elle, la chambre noire, la lumière rouge, les bains de révélateur et le séchage. Leurs remplaçants se nomment : écran, puce et imprimante. Mais, Jef Rabillon nous le fait comprendre, aucune technique ne remplacera le formidable duo, lui aussi 100% naturel, de l’œil et du cerveau.
Michel Amelin