Exposition Degouy / Kúdelová 2009
CÉCILE DEGOUY, KATARÍNA KÚDELOVÁ, L’INQUIÉTANTE ÉTRANGETÉ
Cécile Degouy aime les couleurs vives, le clair-obscur de Rembrandt, la ligne, l’architecture, le cinéma… Dans ses tableaux à l’huile au premier étage, on plonge dans un monde onirique et coloré où des silhouettes de personnages sont perdues dans des univers étranges. Des chemins qui se quittent après s’être croisés, des têtes de cerfs altiers, des maisons sans fenêtre, entre le bungalow et la maquette, nous emmènent à la frontière du rêve. Idem avec les petits formats représentant des visages, ou, du moins, des ombres de visages diluées dans les couleurs violentes. Masques fondus comme ces êtres indistincts que l’on sent plus que l’on ne voit pendant nos cauchemars…En fait, nous sommes face à des symboles. Nous savons que, dans nos rêves, un cerf n’est pas un cerf et une maison non plus. À nous de les charger de significations. C’est notre inconscient lui-même qui est sollicité. Rêve ou cauchemar ? Ombres et lumières jouent en ligne comme des stores. La petite fille cherche son chemin au pays des contes, et la femme qui vient à elle peut avoir une tête de mort. Brrr…
Le concept « d’inquiétante étrangeté » a été développé par Freud en 1919. Parlons-en puisqu’on rôde autour des mêmes notions avec Katarina Kúdelová. « L’inquiétante étrangeté » c’est le familier étrange, ou encore le familier qui diffère du familier de chez soi… d’où le sentiment d’angoisse, le malaise né d’une rupture dans la rationalité rassurante de la vie quotidienne. Cette inquiétante étrangeté, est ici prégnante malgré les couleurs vives et osées. Le fluo n’est pas réservé qu’au Post It ! Ces couleurs vives donc joyeuses tendraient, dans l’absolu, à une représentation éclatante, d’une platitude toute californienne de cartes postales. Mais les lignes sont là, imposant leur espace et leur profondeur de champs, transformant la perception des toiles…
Katarina Kúdelová, partage avec Cécile Degouy cette inspiration venue de l’enfance et de ses terreurs confuses. Le bestiaire, la chasse et ses « massacres » sont ici des allégories. Il y aussi des trophées de rats en cuir de veau, exposés chacun avec leur petit nom. Dans le grenier, la machine à torturer les chats est en peluche, tandis que les rats qui grimpent sur la robe en scratch rose, où ceux qui engloutissent l’artiste par le médium de la vidéo pourraient passer pour des doudous… s’ils étaient seuls. Le feu et le pétard détruisent mais aussi transforment. Et c’est là, le plus grand paradoxe. L’artiste brode des mèches sur du tissu et créé des personnages issus de ses archives personnelles, comme la photo de classe de la salle de l’ascenseur. Ou issus de la mythologie satanique, comme ceux du grenier. La mèche que l’artiste allume va réaliser sa destruction mais ce faisant, le feu créé le dessin. Récupérant la trace par l’exposition des restes ou par la vidéo ou la photographie, l’artiste joue avec cette idée de destruction créative. Les trois « tableaux pétards » d’animaux de l’entrée ont été explosés, les oiseaux dans le couloir sont les survivants intacts d’un feu d’artifice pris en photo. Les tableaux noirs de la petite salle dessinent d’infimes constellations de points de broderie brûlés. Est-ce à dire qu’il peut y avoir survivance à la destruction ? Katarina Kúdelová nous prouve en tout cas que le feu n’est pas seulement destructeur mais créateur. On le savait quand même depuis sa domestication par les premiers hommes mais voilà une thématique passionnante pour de l’art contemporain.
Cécile Degouy et Katarina Kúdelová nous prouvent combien l’enfance est le fondement de notre être. Elles nous prouvent aussi que l’angoisse et le cauchemar peuvent être transcendés par l’art. Elles tissent ensemble un réseau de symboles. À nous de tirer les fils.
Michel Amelin