Exposition Morgane Denzler du 2 juin au 1er septembre

 

« Beyond Landscape »

« Ainsi va le marcheur : il est tout autant aux prises avec une géographie physique qu’avec une cartographie psychique. »

Pour réaliser ses œuvres, Morgane Denzler appréhende les espace naturels de multiples façons. Elle développe une vision à la fois subjective et critique des paysages qu’elle sillonne. Marcher, créer pourrait bien être son leitmotiv, à l’instar de l’ouvrage du même nom de Thierry Davila. Et comme les mots de l’historien de l’art le précisent, le marcheur est à la fois connecté à la géographie qu’il parcourt (relief, massif, végétation, etc.) et à sa propre expérience du territoire. La carte, outil privilégié du marcheur et objet régulièrement convoqué par Morgane Denzler, n’a jamais cessée d’être une interprétation. En effet, la cartographie, supposément neutre et normée, demeure pourtant un élément subjectif tant elle est rattachée à la perception de celui ou celle qui la réalise, n’offrant alors qu’une image tronquée et partiale de la réalité. «La carte n’est pas le territoire.»₂, amorçait déjà Alfred Korzybski dans les années 1930. C’est avec ces codes que l’artiste joue, en nous donnant à voir des renversements de points de vue, des pliures du temps et de l’espace.

Opérant par fragmentations et juxtapositions, Morgane Denzler manipule, déconstruit et recompose les images, en volume ou à plat. Elle revisite ainsi la photographie de paysage en lui apportant une dimension protéiforme, capable de rendre compte de la multitude des expériences qui nous traversent lorsque l’on s’engage dans des espaces naturels. C’est ainsi qu’en parcourant l’exposition, une multitude de points de vues s’offrent continuellement à nous, encourageant à s’engager physiquement parmi les oeuvres. La rapport à la carte comme outil à repenser est également l’un des fils conducteur de Beyond Landscape. En déconstruisant l’outil et son format (série Point de vue, Coffret, Cartographie), Morgane Denzler cherche à mettre à mal la vision d’un Occident qui voudrait ce paysage contrôlable et sans cesse ramené à l’échelle humaine. L’ensemble des œuvres sont toutes traversées par ces questions de représentations et de maîtrise. Lors d’un séjour au Liban en 2010 Morgane Denzler fait le constat que sa perception du paysage relève également d’une construction culturelle. Sensible au décalage qui s’était opéré dans sa perception des espaces, elle se rend alors à de nombreuses reprises dans les Alpes (vallée de Serre Chevalier) où elle arpente les montagnes dans l’idée de déconstruire son rapport à cet environnement. Les pièces qui en résultent oscillent entre un questionnement sur cette mise à distance, en pointant les méthodes de rationalisation et de mesure (normes IGN, échelles, etc.) propres à notre culture, et une approche plus personnelle, où le corps se perd, engagé dans les méandres des chemins alpins.

Au rez-de-chaussée, l’artiste revisite la carte IGN et la décline de diverses façons, au mur, entre photographie et sculpture (Cartographie) ou encadrée et fragmentaire (série Point de vue). La série Cartographie évoque le paradoxe résultant de l’écart entre la carte et le paysage. Sur la carte, le paysage est dessiné, quadrillé, charté à la différence de notre expérience réelle qui elle est unique, singulière et parfois indicible. Reprenant tous les codes de la carte IGN, notamment dans son aspect frontal, l’image apparaît ici comme aplatie. Pour obtenir cette sensation, Morgane Denzler se rend dans le versant opposé afin de photographier la montagne permettant cet effet de frontalité.

Dans un rapport similaire au marcheur découvrant un paysage au gré de ses pas, la série Point de vue encourage la curiosité du visiteur et lui fait perdre ses repères de par la multiplicité des perspectives qu’elle propose.

Au 1er étage, l’installation photographique Beyond Landscape se déploie dans l’ensemble de l’espace, incitant à déambuler parmi les images et déclinant de multiples panoramas. L’aspect élancé et étroit des photographies évoque

les carottages réalisés dans le but de connaître la composition précise des sols mais également le pli d’une carte lorsqu’on la tient en main.

Au mur l’installation, Holzweg tire son nom des trois diptyques de photographiques. Le papier peint réalisé spécialement pour le Centre d’art offre de se perdre dans cette vu alpine morcelée et vertigineuse. Sa position vacillante entraîne là encore un déséquilibre du regard pour mieux nous interroger sur nos attente face à ce que l’on voit. Les photographies en noir et blanc représentant des chemins de cols de montagne évoquent cette action du marcheur invariablement confronté à des choix et à des effets de découverte lorsqu’il arpente un paysage. En allemand, le terme holzweg signifie “chemin qui ne mène nul part”. Les bûcherons, en fin connaisseurs de leur environnement, savent discerner très tôt lorsque qu’un chemin est un holzweg
ou non, en se fiant notamment à leur compréhension des indices disséminés dans le paysage. Les diptyques évoquent une ascension progressive vers des sommets à découvrir en proposant des vues multiples et changeantes à l’image de l’exposition. En effet, chez Morgane Denzler, les espaces naturels qu’ils soient déployés ou fragmentaires ne présentent jamais une réalité univoque et posent la question de notre existence face à ce qui nous entoure.

 

₁ DAVILA, Thierry, Marcher, créer : déplacements, flâneries, dérives dans l’art de la fin du XXe siècle, Éditions du Regard, Paris, 2002. p.22

₂ La carte correspond à la représentation que l’on se fait du monde, et le territoire est le monde tel qu’il est réellement. Chaque personne possède sa propre vision du monde, celle-ci est donc différente d’un individu à l’autre. Il y a un seul territoire mais une infinité de carte : la carte n’est pas le territoire. Alfred Korzybski.

L’Île d’en Face

Exposition ouverte du 2 juin au 1er septembre 2019

Du 2 au 30 juin : les samedis et dimanches de 15h à 18h, ou sur rendez-vous en contactant Antoine Dalègre, médiateur du Centre d’art, au 02 40 98 08 64.

Du 1er juillet au 1er septembre : du mercredi au dimanche de 15h à 18h.

Les salles sont accessibles aux personnes à mobilité réduite.

Site de la galerie de l’artiste